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Fiche de lecture – Les nouveaux collectifs citoyens

Dans les projets d’énergie citoyenne nous parlons beaucoup d’ingénierie, qu’elle soit technique, financière, juridique,… Aujourd’hui nous allons parler d’un autre type d’ingénierie qu’il arrive, à tort, de sous estimer dans les projets.

Nous allons parler « ingénierie de l’être ensemble ».

Cette formule vient du livre de Ivan MALTCHEFF Les nouveaux collectifs citoyens, Pratiques et perspectives (lien).  Ce que l’on vous propose c’est de partir des idées développées dans cet ouvrage qui date de 2011 puis de vous proposer des ressources et des pistes pour poursuivre de votre coté la réflexion si le sujet vous intéresse.

Ivan MALTCHEFF, Les nouveaux collectifs citoyens, pratiques et perspectives, Albin Michel, Paris, 2011, 172p.
C’est un ouvrage axé sur des constats et des propositions pratiques pour améliorer le fonctionnement des collectifs.

L’ouvrage est divisé en deux parties :

  • La première est consacrée aux blocages qui sont fréquents dans les collectifs et qui parasitent les projets.
  • La seconde répertorie les pratiques qui peuvent résoudre ces blocages.

Partie 1 :
Écueils et questions : « dissiper le brouillard »

  • De l’euphorie du départ au soufflé qui retombe
  • Le manque d’engagement : des intentions aux actes ; le projet porté par quelques personnes
  • Les questions du pouvoir et du leadership
  • Le manque de ressources financières : le rapport à l’argent
  • L’absence de désaccord. La non gestion des désaccords et des conflits
  • L’absence de règles de gestion des entrées, sorties et processus d’exclusion : les frontières du groupe.
  • La difficulté de s’écouter, de maîtriser sa parole, de s’exprimer.
  • La thérapie de groupe et l’activisme effréné.

Partie 2 :
Expériences et recherches : « Dessiner un chemin »

  • Le rêve « éveillé », le travail circulaire sur la vision : la construction d’un futur désirable
  • L’interaction entre la transformation personnelle et la transformation du collectif : la recherche de cohérence et d’alignement
  • L’animation : apprendre à « être ensemble »
  • Les prises de décisions, les conflits et les désaccords : apprendre à avancer avec nos différences
  • Protocole d’entendement d’un groupe autour d’un désaccord
  • La question de la mort du groupe
  • Rester ouverts mais pas à tous vents : les cercles perméables.
  • Privilégier l’expression du potentiel créateur de chacun le JE agissant
  • Installer un leadership circulant
  • Agir avec le plaisir et la joie comme moteurs

PARTIE 1 : ÉCUEILS ET QUESTIONS :  » DISSIPER LE BROUILLARD »

A plusieurs reprises l’auteur identifie deux pôles opposés qu’il décrit. Évidemment ces pôles sont des archétypes qui laissent la place à une myriade de situation intermédiaires et de nuances multiples. La partie est consacrée à identifier des problèmes fréquents dans les groupes. Quelques pistes de résolution sont proposées mais c’est surtout dans la seconde partie de l’ouvrage que des solutions sont proposées.

La démarche proposée pour faire face aux problèmes identifiés est la suivante :

  • Savoir nommer la situation, la reconnaître
  • S’y confronter, sortir rapidement du déni
  • Faire émerger « l’ombre » du groupe sur les sujets ( les non dits, les ressentis, les frustrations, les craintes).
  • Dessiner une sortie possible en utilisant certains des principes et outils évoqués au chapitre 2

De l’euphorie du départ au soufflé qui retombe

Passés les premiers temps le groupe se confronte aux premières difficultés. C’est le moment du passage de l’idée au projet. Cette étape est quasiment inévitable. Il est conseillé d’accepter ces difficultés, l’essentiel est de nommer les difficultés qui se présentent. Ce moment se solde soit par un abandon du projet, soit par une montée en compétence des membres du collectif

Le manque d’engagement : des intentions aux actes ; le projet porté par quelques personnes.

« Bien souvent, les collectifs reposent sur l’énergie et l’engagement d’un tout petit noyau de personnes ». D’un côté ce petit groupe se retrouve sous pression car il assure seul la majorité des activités. De l’autre coté le reste du collectif passif qui ne fait pas grand chose pour sortir de ce flottement. Lorsque des personnes extérieures au petit noyau cherchent à faire bouger la situation, il leur est reproché leur manque d’implication et elles ont parfois du mal à trouver leur place au sein du projet.

Que faire face à cette situation ? La première étape est de se demander si cette situation au fond ne convient pas à tout le monde. L’hyper activisme militant peut témoigner d’un besoin de reconnaissance. A l’inverse la mise en retrait au sein d’un projet peut être une manière d’exprimer des doutes. Ces situations sont des opportunités d’aborder la question des motivations. « Que suis-je venu chercher ici ? » Les raisons peuvent être diverses : frustration professionnelle, besoin d’appartenance, recherche d’un sentiment d’utilité, volonté d’expression de son pouvoir d’agir,…

Exprimer ses motivations profondes face aux autres n’est pas un exercice facile, le chapitre 2 regroupe des conseils pour faciliter l’expression au sein du groupe.

Les questions du pouvoir et du leadership

Il y a toujours des jeux de pouvoir entre les individus au sein des groupes, l’important est de les identifier. L’auteur distingue deux figures types de leader. D’un côté celui autocratique qui ne laisse une faible place à la critique. A l’opposé un leader trop « cool » avec de bon liens relationnels mais un manque d’exigence et d’énergie d’action. La volonté de fonctionner de manière démocratique au sein des collectifs rend le sujet du pouvoir parfois tabou. Au contraire l’auteur conseille d’identifier clairement les rapports de pouvoirs, de clarifier les processus de choix d’un leader et des rôles qui sont les siens.

Le manque de ressources financières : le rapport à l’argent

Les questions économiques, comme celles liées au pouvoir, peuvent être en contradiction avec l’idéologie d’un groupe et de ce fait être passées sous silence. En plus pour les questions d’argent le sujet peut se révéler technique et il y a un risque de prise de pouvoir par ceux qui savent, les techniciens. L’auteur conseille d’avoir une transparence totale sur les finances du groupe et de décider collectivement des sources de financement. Enfin il faut selon lui faire des allers retours entre la raison d’être du projet et la réalité économique. Car il ne faut pas laisser les questions économiques dessiner seul le devenir du projet, ni à l’opposer ne pas du tout en tenir compte.

L’absence de désaccord. La non gestion des désaccords et des conflits.

L’auteur identifie deux types de groupes : ceux qui ne font pas vivre leur désaccord par crainte du conflit ou par idéologie fraternelle. Ceux qui, à l’inverse, par idéal démocratique font exister les désaccords et qui parfois risquent le conflit ou les débats stériles et interminables.

Il y a plusieurs réponses à une absence récurrente de désaccord : absence de vrai sujet de débat, manque d’hétérogénéité entre les membres, peur de casser un idéal d’harmonie, idée que le désaccord mène à la violence, absence de système pour réguler les désaccord,…

L’auteur pense que les désaccords sont une occasion pour le groupe de progresser et d’exprimer sa diversité. Exprimer des désaccords de manière sereine et constructive nécessite de poser des cadres et des manières de fonctionner au sein des groupes que l’auteur détaille dans la seconde partie de l’ouvrage.

 

L’absence de règles de gestion des entrées, sorties et processus d’exclusion : les frontières du groupe.

Les nouvelles entrées au sein d’un groupe comportent plusieurs enjeux. Un groupe qui ne se renouvèle pas risque de s’endormir progressivement, les nouvelles arrivées sont donc une aubaine car elles peuvent être source d’énergie pour le groupe. Il faut réussir à accueillir les nouveaux et à leur transmettre des informations sur le fonctionnement du groupe, sur les questions qui le traverse. L’objectif est de rester ouvert à de nouvelle énergie sans tout remettre en question et en débat à chaque nouvelle arrivée.

Pour les sorties il ne faut pas faire comme si de rien n’était. Au contraire il faut l’accepter et comprendre les raisons du départ qui sont des occasions de prendre du recul sur le fonctionnement du groupe et la direction que prend le projet.

Dans un cas comme dans l’autre l’important est d’avoir des processus clair d’entrée et de sortie du groupe.

La difficulté de s’écouter, de maîtriser sa parole, de s’exprimer.

Deux types de comportements au sein des groupes vis à vis de la prise de parole. Certaines personnes monopolisent la parole, d’autres à l’inverse ne s’expriment pas. Dans un cas comme dans l’autre ceux sont des comportements problématiques. La circulation de la parole et l’expression de tous les membres est un enjeu important du groupe ce doit être un idéal vers lequel tendre.

La thérapie de groupe et l’activisme effréné.

Par activisme effréné l’auteur entend des groupes qui se consacrent uniquement à leur action vers l’extérieur parfois au détriment du fonctionnement. A l’opposé d’autres groupes sont très attentifs à leur fonctionnement parfois au détriment de l’action. Il importe selon Ivan Maltcheff de trouver un équilibre entre ces deux pôles. Car le premier entraine une fatigue rapide du groupe, le second, dans l’excès, peut nuire à la réalisation des objectifs fixés par le groupe.

PARTIE 2 : EXPÉRIENCES ET RECHERCHES :  » DESSINER UN CHEMIN « 

Le rêve « éveillé », le travail circulaire sur la vision : la construction d’un futur désirable

Cet exercice consiste à se mettre dans une situation où les membres du groupes vont pouvoir exprimer leur vision idéale du projet à une échéance donnée. L’objectif est de faire émerger à partir des désirs individuels un idéal collectif, de dessiner un futur désirable pour tous. Pour réaliser cet exercice il y a une phase préparatoire préalable. Il faut définir collectivement quel va être le sujet du rêve, formuler ensemble une question et définir à quelle échéance de temps le rêve doit se projeter. Ensuite il est nécessaire de déterminer le processus d’accompagnement du groupe (qui et comment ?) ainsi que la manière de recueillir les données (enregistrement, prise de note par un tiers, … ). Enfin avant de démarrer il faut créer un temps de rupture ( silence, exercice corporel,… ). Tout est prêt le rêve éveillé peut commencer !

Les participant·e·s vont être invité·e·s par l’animateur à détailler leur vision. Puis dans un second temps expliquer le processus qui a permis d’en arriver là. Le rôle de l’animateur est de garder le fil, de guider vers les difficultés. Comment ont-elles été surmonté ? A la suite de l’exercice si les matériaux récoltés sont jugés intéressants il convient de revenir dessus dans un mode plus analytique et rationnel pour les retravailler.

L’interaction entre la transformation personnelle et la transformation du collectif : la recherche de cohérence et d’alignement

Les collectifs sont à la fois un lieu de proposition et force de transformation vers l’extérieur ainsi qu’un espace de transformation personnelle pour ses propres membres. Parvenir a articuler transformation collective et transformation personnelle est un véritable enjeu. Maltcheff propose d’effectuer un bilan relationnel pour évaluer à intervalles réguliers la cohérence entre les valeurs du collectif et son fonctionnement. Il imagine que ce bilan relationnel pourrait être présenté annuellement à l’image de ce qui se fait déjà pour les bilans morals et financiers. L’idée est que chaque membre du collectif puisse s’exprimer (à l’écrit, à l’oral, en binôme ou en groupe) sur une série de question pour évaluer la cohérence du fonctionnement du projet vis à vis de ses valeurs.

L’animation : apprendre à « être ensemble »

Il faut prendre soin des temps où le groupe se réunit notamment le temps passé en réunion. Il est important de poser un cadre qui soit à la fois rassurant et qui permette l’efficacité. L’auteur insiste sur l’importance d’avoir un·e animateur·rice de réunion que ne prenne pas part aux débats mais qui reste dans son rôle d’animation. L’objectif est de créer un espace où les participants trouvent ce qu’ils sont venu chercher tout en permettant un fonctionnement collectif efficace. D’après une étude les besoins qui sont le plus souvent exprimés par les membres des collectifs sont :

«Au niveau individuel : être respecté, considéré, nourri personnellement, ne plus être manipulé et participer mais à condition de participer aux processus de création et de décision dans un climat de confiance. Au niveau collectif : expérimenter des processus de fonctionnement qui garantissent le respect de chacun, l’équivalence, de nouveaux rapports au pouvoir et qui soient efficace dans l’opérationnel. »

Les prises de décisions, les conflits et désaccords : apprendre à avancer avec nos différences.

Comment éviter une paralysie de l’action dans ce que l’auteur appelle une « démagogie pseudo participative » ou à l’inverse la prise de pouvoir par un petit groupe ? Il n’y a pas une bonne méthode mais elle doit nécessairement répondre aux trois critères suivants :

  • Convenir à l’ensemble du groupe
  • Permettre l’expression des désaccords
  • Permettre d’avancer

Si il y a un désaccord l’auteur propose plusieurs manières d’en sortir :

  • Trancher par un vote à la majorité qualifiée
  • Reporter la décision et organiser une médiation entre les différentes parties
  • Une partie du groupe peut être chargée de trouver une solution
  • Creuser pour comprendre les sources profondes du désaccord

« Protocole d’entendement d’un groupe autour d’un désaccord »

Exercice de 2H-3H. Les participants doivent accepter le rôle de l’animateur, ils sont libres de quitter le processus à tout moment si ils le souhaitent. Les participants s’engagent à ne pas chercher à convaincre les autres sur le bien fondé de leur idées, ni à exprimer de jugement sur les idées exprimées par les autres.

  • Etape 1 : Débattre sur l’objet du désaccord. Formuler une phrase qui résume le mieux possible le désaccord.
  • Etape 2 : Positionnement dans l’espace le long d’un axe qui exprime d’un coté l’accord, de l’autre le désaccord. Puis échange des positions entre les participants qui ont des positions opposées.
  • Etape 3 : Chercher à expliquer à l’écrit le point de vue de la personne que l’on vient de remplacer.
  • Etape 4 : Restitution à l’oral. Les personnes dont on cherche à expliquer les idées et le positionnement prennent ensuite la parole. Elles expriment leur conception et leurs émotions sans entrer dans un débat.
  • Etape 5 : Les participants peuvent se replacer sur l’axe si ils le souhaitent.
  • Etape 6 : Chaque grande catégorie d’opinion élabore des propositions de réduction d’écart. Si une proposition plait à un des participants il peut se déplacer sur l’axe.
  • Etape 7 : Synthèse et bilan en commun sur ce qui ressort de l’exercice, toujours pas de débat. Le groupe décide de la suite à donner à l’exercice : se retrouver pour réfléchir aux propositions, en rester là dans le processus,…

La question de la mort du groupe

Les groupes ont souvent tendance à ne pas réfléchir à leur fin. Au contraire la fin ou mort d’un groupe fait partie intégrante de son existence. Il est important de questionner collectivement les conditions qui permettent la continuité du groupe. Il faut également réfléchir aux conditions qui pourraient mener à la fin du groupe (ce qui n’est pas toujours une mauvaise chose).

Rester ouvert mais pas à tous vents : les cercles perméables.

Deux risques de fonctionnement. Le groupe fermé qui se sclérose par manque d’énergie nouvelle. A l’inverse le groupe ouvert qui tourne en rond et revient sur les mêmes problématiques à chaque nouvelle arrivée. Pour concilier ouverture et énergie Maltcheff propose l’organisation en cercle perméable qui reprend les idées de l’holacratie. Chaque cercle, composé de plusieurs participants, est en autogestion. Les procédures d’inclusion et d’exclusion du groupe sont claires. Les différents cercles sont interconnectés. Pour aller plus loin on vous conseille de vous pencher sur l’holacratie et de vous intéresser aux liens en fin d’article.

L’expression du JE.

Il faut que les membres s’expriment de leur point de vue, de leur position. En cela dire JE est quelque chose de positif. Quelles sont mes envies, mes possibilités. Le but est ensuite d’élaborer du commun entre les différents participants mais à partir des différents points de vue présents au sein du groupe.

Installer un leadership circulant.

L’auteur insiste sur le fait que « leader » n’est pas synonyme de « chef ». Il faut découper le leadership en plusieurs fonctions. Leadership dans la vision, dans l’expertise, dans l’animation,… Autant de fonction qui peuvent être assurées par des personnes différentes. Il est important d’organiser la rotation de ces fonctions avec un processus clair et défini collectivement.

Agir avec le plaisir et la joie comme moteurs

Le dernier conseil de l’auteur est de remplacer la souffrance et l’esprit de sacrifice qui agissent encore parfois comme des moteurs au sein des groupes. A la place il faut leur substituer la joie.
« La joie n’empêche pas le sérieux, ni la gravité, ni l’action, ni le désaccord, ni la conscience de la souffrance sur la planète 

POUR ALLER PLUS LOIN SUR LE SUJET

Si la thématique vous intéresse voici quelques pistes pour poursuivre la réflexion :

  • Le guide d’énergie partagée sur le sujet
  • Le MOOC des colibris et de l’Université du Nous sur la « Gouvernance partagée »
  • Les travaux de Frédéric Laloux : une conférence et pour les plus motivé·e·s son livre
  • Le collectif la Volte recense une série d’exercices d’animation issus de l’éducation populaire

Pour suivre une actu ECLRée
sur la transition énergétique citoyenne en Occitanie